Le grand mal de notre époque, c’est l’inquiétude : on est prêt à tout pour s’assurer un peu de sécurité, même à aliéner sa liberté.
Relisons l’article 2 de la Déclaration de 1789: « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Ces droits fondamentaux forment un tout indissociable, sans notion de priorité entre eux.
Le sort ne fait pas de différence entre les gens. On est tous égaux face au hasard.
Garantir la propriété, c’était éviter la spoliation possible par le souverain; Résister à l’oppression, c’était refuser l’absolu du pouvoir ; Accéder à la sûreté, c’était faire disparaître les lettres de cachet permettant au souverain d’embastiller sans motifs. La sûreté, c’était la certitude de ne pouvoir être jugé que conformément aux règles de procédures pénales en vigueur et de n’encourir que des peines prescrites par la loi, c’était protéger les citoyens de tous les types d’abus de pouvoir.
Les libertés recouvrent quoi ?
• Tout ce qui relève du respect de l’autonomie de la personne: le respect de la vie privée, l’inviolabilité du domicile ou des correspondances, …
• Pouvoir agir: liberté d’aller et venir, liberté d’entreprendre, …
• Pouvoir penser: liberté de conscience et d’opinion, liberté d’expression et d’accès à l’information, liberté d’association et de réunions, liberté de manifestation, libertés politiques et de religion.
Les hommes libres peuvent partir, et quelquefois ils restent. Voilà la plus belle preuve d’amour: prendre la liberté de rester alors qu’on pourrait s’en aller.
Une démocratie ne se limite pas au droit vote (qui est essentiel), sans l’équilibre des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) elle se dissout dans la dictature ou l’anarchie.
Les hommes sont tous égaux en République et en dictature: dans le premier, c’est parce qu’ils sont tout. Dans le second, c’est parce qu’ils ne sont rien.
La démocratie sous-entend le respect de soi-même et de l’autre : Croire en l’autre est une affaire de sang-froid permettant de ne pas céder au vertige de quelque peur que ce soit, à l’ivresse de l’effroi qui diabolise l’autre, en le chargeant du malheur du monde, pour mieux se rassurer.
Quiconque revendique la totale liberté entière et pleine, revendique la totale responsabilité entière et pleine.
Ce n’est pas dans la peur que le politique doit trouver ses forces. C’est en réduisant la part d’incertitude inhérente aux relations naturelles entre les hommes. La loi du plus fort (ou du plus puissant) doit laisser place à des relations où les droits naturels ont leur part, garanti par la justice.
Nous sommes tous déchirés entre un désir de liberté sans contrainte et un désir de sécurité, de protection contre les accidents de la vie. Dès que l’on a quelque chose de précieux (une famille, un ami, une maison, un objet fétiche, …) qu’on pourrait perdre, notre liberté est limitée par cette peur.
Tous les hommes seraient égaux s’ils étaient sans besoins ; la misère attachée à notre espèce subordonne un homme à un autre homme ; ce n’est pas l’inégalité qui est un malheur réel, c’est la dépendance.
Pour certains, il n’y a de liberté que par une sécurité sans faille assurée par un pouvoir absolu: tout vaut mieux, y compris les plus strictes restrictions aux libertés, que le retour à l’état de nature. Il faut préserver l’ordre public y compris contre la majorité des citoyens qui le composent. Transformé en doctrine de la « sécurité nationale », c’est le point de ralliement de tous les régimes autoritaires. Elle a servi à légitimer l’emploi de la torture, les assassinats ciblés, l’utilisation des « escadrons de la mort » et autres groupes paramilitaires dans la lutte contre toutes les oppositions. Inversement, une liberté qui se transforme en licence produit une société d’individus atomisés où la compétition universelle et le calcul de l’intérêt égoïste remplacent toutes les lois des communautés. Le pire étant peut-être que les deux attitudes peuvent se combiner en des proportions diverses.
La sécurité est aussi sociale : avoir des perspectives de vie, cela exige qu’on ne soit pas en mode survie. La sécurité de l’emploi, la protection contre la maladie et la garantie de revenus à l’âge de la vieillesse sont aussi des formes de sécurité que les citoyens attendent. Nombreux sont ceux qui ne cessent de parler de sécurité en oubliant cette sécurité des plus faibles qu’est la sécurité sociale. Au contraire, ils préconisent dans l’ordre du travail et de la vie ordinaire une « société du risque » et font l’éloge d’une précarité qui serait consubstantielle à la vie elle-même.
Le radicalisme (religieux) irradie une sorte de glamour. Offrez une kalachnikov et un uniforme à un jeune sans le sou, sans emploi, et soudain vous conférez un pouvoir à celui qui se sent vulnérable et défavorisé.
Notre société, pour se protéger et pour protéger ces concitoyens de nouveaux types de menaces (terrorisme, black block, virus, devoir de mémoire, respect des « minorités », …), fait le choix d’aller vers une limitation de plus en plus importantes des libertés. Le droit à la sureté devient un droit à la sécurité qui doit si nécessaire prévaloir sur les libertés. C’est le mythe de la sécurité totale : un monde sans danger, sans risque. Ce qui n’existe pas, sauf dans la mort.
Pour assurer cette sécurité, même la guerre est justifiée (cf. la légitime défense). Si les terribles évènements du 11 septembre avaient été qualifiés de crime contre l’humanité, la justice internationale aurait pu s’en charger. Comment terminer une guerre sans ennemi avec qui discuter, signer la paix ?
Nous ne pouvons pas être en guerre contre notre peuple (cf. les gilets jaunes) ou contre un virus (aussi terrifiant soit-il). Avec les êtres humains, nous pouvons discuter, échanger, raisonner, sous réserve qu’ils soient prêt à écouter, chercher des compromis. Avec un virus, nous pouvons prévenir, éviter la contagion et soigner / guérir.
Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé
Ces « abus » (ou attaques contre les libertés) peuvent entrainer la désobéissance civile (i.e. refus une réglementation émise par l’état, collectivement & de manière non violente, pour qu’elle soit jugée par le droit) pouvant aller jusqu’à la réappropriation d’une terre à soi (ou les règles sont celles du collectif en question et plus celle de l’état). Elle n’est possible qu’en démocratie. Dans n’importe quelle dictature cette désobéissance est exterminée dès ses prémisses.
L’obéissance commence par la conscience et la conscience par la désobéissance.
Nous avons en France le droit à la résistance qui reste cependant soumis à d’étroites restrictions. Il s’exerce de façon légitime uniquement dans des circonstances exceptionnelles : proclamation d’un état d’urgence, suspension des libertés fondamentales, instauration d’une dictature, imposition d’un ordre nouveau par une puissance occupante. Quelques dispositions du droit français aménagent légalement le droit de résistance, comme le droit pour le fonctionnaire de refuser d’obéir à un ordre « manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».
Une loi qui limiterait la liberté d’expression, le droit de grève ou de manifestation pourrait porter atteinte indirectement au droit de résistance à l’oppression, comme une loi qui mettrait en œuvre des systèmes de surveillance particulièrement généralisés (par le développement de fichiers, de caméras ou des nouvelles technologies) pourrait limiter l’exercice futur de ce droit.
Notre société, toujours pour limiter les risques a fait évoluer nos réglementations d’une condamnation des coupables (cf. la présomption d’innocence) à une mise sous surveillance (carcérale si besoin) des suspects. Vous pouvez être arrêté (fouillé, contrôlé) si vous marchez à côté d’une manifestation ou si vous allez sur le mauvais site internet par hasard.
Toutes ces restrictions de nos libertés pourraient être acceptables si elles étaient limitées de façon claire précise dans le temps et dans l’espace pour faire face à un péril identifié (et bien compris par tous). Le fait de les ancrer petit à petit dans le droit commun nous éloigne de plus en plus de l’objectif de l’article 2 de la Déclaration de 1789 : protéger les citoyens des abus de l’état.
Ceci étant, ne dramatisons pas non plus.
En Europe globalement et en France en particulier, nos libertés fondamentales restent protégées :
• Respect de la vie privée => Très présent en Europe et aux USA. Beaucoup moins ailleurs. Cf. le droit à l’image (peut être lié au fait que dans ces pays l’égo a beaucoup d’importance, alors que dans d’autre culture c’est la communauté qui prime).
• Inviolabilité du domicile ou des correspondances => Je n’ai pas trouvé les pays ou cela n’était pas le cas. Ceci étant dans toutes les dictatures, l’armée ou la police peuvent entrer chez vous sans sonner (mais en frappant !). En France ce droit est garanti sauf en cas de procédure pénale.
• Liberté d’aller et venir (déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Sous réserve d’avoir un Visa dans beaucoup de pays. En Chine on peut vous imposer d’habiter un endroit (pour vous « éduquer »).
• Liberté de conscience et d’opinion : vous pouvez penser ce que vous voulez partout. Sachant que vous avez été formaté par votre éducation. Dans de nombreux pays, vous avez grandement intérêt à garder pour vos opinions si vous ne voulez pas finir en prison.
• Liberté de la presse : n’existe vraiment que dans 80 pays … avec parfois des limitations
• Liberté d’accès à l’information : combien de pays jouent avec les limitations d’accès à Internet ? 90 pays ont signé une charte. Mais en pratique ?
• Liberté syndicale, droit de grève : Interdit dans de nombreux pays. Abusif dans d’autres ? (cf. concept du service minimum)
En résumé, restons attentifs et réactifs. Nous sommes bien lotis en France. Protégeons nos institutions qui nous protège d’un état trop fort !