Vendredi en milieu d’après-midi, début d’été catalan, loin des ramblas.
Envoyé par Monsieur Paul Gravenchko pour un forfait de cinq mille euros, me voilà installé dans un fauteuil trop bas pour mon mètre soixante, le nez à la hauteur du marbre de la grande table ovale. J’essaye de faire bonne figure tandis que chacun des autres hommes présents tente de jouer de sa présence charismatique, avec plus ou moins de succès en fonction de son embonpoint. En tournant un peu la tête, dans cette grande salle de réunion entourée de baies vitrées, j’ai une vue grandiose sur la mer méditerranée dans le lointain. Ses ondulations m’apaisent, filtrent les bruits qui m’entourent.
Sur les arêtes de notre amertume, l’aurore de la conscience s’avance et dépose son limon.
Pour cette affaire, je suis le représentant d’une entreprise russe. Nous sommes tous habillés à l’avenant, costume sombre, chemise blanche, cravate noire, lunettes rondes. A ce meeting organisé pour finaliser la campagne de lancement d’un nouveau produit révolutionnaire, je suis payé pour écouter ce que racontent les participants, mes partenaires de business en théorie. J’ai juste à la fermer avant de l’ouvrir. Alors, je me concentre pour bien travailler, tout en regardant par la fenêtre l’énorme masse d’eau illuminée par les rayons du soleil.
Je sais, j’ai l’air un peu con. Mais l’uniforme y est pour beaucoup !
Je parle plusieurs langues, dont l’anglais, l’américain, le russe, le castillan et le catalan, ce qui explique ma présence au dernier étage de cette haute tour de Barcelone. Monsieur Paul Gravenchko, qui me connait depuis longtemps m’a sollicité pour réaliser cette mission, lui ayant des activités beaucoup plus importantes, une croisière en galante compagnie sur la Riviera niçoise si j’ai bien compris.
Je suis quelqu’un de globalement incompétent, doué pour rien, honorable sans plus en tout. Ni gros ni maigre, cheveux courts, ma carrure est celle du représentant médian de la classe moyenne, celle qui ne fait pas de sport. Anonyme standard, je vends mon temps au plus offrant. C’est un métier comme un autre, un passe-temps rémunéré si vous voulez.
Il m’arrive de passer la nuit dehors, à ma place dans une file d’attente interminable, pour obtenir des places d’un concert que je n’ai pas les moyens de m’offrir où de somnoler dans une préfecture en attendant le titre de propriété d’une voiture dont la valeur dépasse largement ma capacité de financement, somme toute modeste. Je suis rémunéré pour cela, pendant que mes clients dorment, font la fête, ou travaillent. Je leur évite de perdre quelques gouttes de leur temps si précieux.
J’ai de la chance : j’adore regarder les autres vivrent. C’est mieux que la télévision ou internet. Ils sont si étranges, des énigmes dont je n’entrevois que la partie immergée. Eux ne sont même pas payés pour patienter, ils en ont de la volonté ! Je les observe s’énerver, courir, perdre leur temps, si rarement dans l’instant.
Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.
Pour gérer mes clients et prospects, j’ai échangé la création d’un site web dédié à mon activité contre une assistance assidue à une conférence de Microsoft qui s’étalait sur trois jours. Ma prise de note convenait parfaitement à mon donneur d’ordre qui en gère du coup gratuitement l’hébergement et la publicité. J’assure ainsi les revenus nécessaires à mon existence paisible. Je suis loin de la fortune, mais j’ai largement de quoi subvenir à mes maigres besoins.
Je n’ai pas d’enfant, pas d’amie attitrée, je vis seul dans deux pièces de l’ancienne maison de mes parents, décédés depuis longtemps. Je n’ai pas de lien, je suis disponible sept jours sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a de superbes images sur mon site, des montres à la Dali, des sabliers argentés, et des fleuves calmes et limpides qui s’écoulent majestueusement. Je suis un spectateur contemplatif.
Revenons à la réunion.
Mon client me précise toujours avant la mission ce qui est important pour lui lors d’un briefing. Ensuite, il me suffit d’être attentif, mon objectif étant de ne rien rater d’essentiel.
Parfois, je diverge. Sur ma tablette, j’ai dessiné deux cochons roses. Je sais parfaitement pourquoi j’ai réalisé ces œuvres contemporaines, aucun rapport avec l’objet de la réunion, encore que. Un des cochons n’a pas d’oreille et l’autre n’a pas de queue. J’ai aussi fait un plan de la table avec les noms de chaque personne participante. C’est un des points importants pour mon client qui veut savoir qui était là précisément.
Il y a maintenant près de deux heures que je me concentre sur l’objet central des débats : la nouvelle crème rajeunissante pour les visages des femmes blanches entre soixante et quatre-vingts ans. D’après les tests faits, cette marchandise n’a pas d’effet sur les Asiatiques et serait contre-indiquée pour les Africaines. Dans ce monde financier et hautain, même les produits réussissent à être racistes.
Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur !
Je prends conscience avec angoisse que je n’ai retenu que des évidences dans mes notes. Aucune réponse aux questions que se pose mon client : combien de temps se conserve le produit ? Quel est le coût, livraison incluse, si l’on en achète cinquante mille ? Quel sera le prix de vente conseillé aux états unis ? Qui sera la star qui servira de support à la promotion ?
Mais qu’est-ce qu’un révolté, Monsieur ? Quand un homme est broyé et qu’il se tait, c’est un individu normal. S’il proteste et réclame son droit, c’est un révolutionnaire !
Même si je n’aime pas ça, il va falloir que je pose des questions.
Id Est, définition : la goutte qui fait déborder le vase est toujours la dernière
J’attends le moment propice, juste après une présentation par un français sur la politique commerciale qu’il a mise en place basée sur des réunions de ménagères et une gestion de stock en quantité limitée. Le croisement entre la vente par des personnes motivées utilisant leur réseau et passant le relais pour augmenter leur profit et la pénurie organisée des produits clefs est toujours la meilleure solution, selon lui.
– Messieurs, qui d’entre vous peut m’indiquer le prix approximatif de ce produit pour une commande ferme et livrée de quarante mille unités ?
Nota Bene, attirer l’attention : je suis timide, mais je me soigne
Après plusieurs secondes de silence, celui qui semble être l’animateur, un américain à l’accent guttural me répond que c’est une excellente question et qu’elle sera abordée par la suite.
En me concentrant attentivement sur la suite des débats, j’ai la désagréable sensation que tous ces intervenants sont assez creux, qu’ils meublent pour ne rien dire. Ou pour le formuler différemment, que je pourrais, moyennant une courte préparation, présenter à leur place.
Un homme sans défauts est comme une montagne sans crevasses. Il ne m’intéresse pas
Plusieurs éléments me sautent aux yeux :
– Comme moi, ils ne passent pas leur temps sur leur smartphone à faire tout sauf assister à la réunion. Mon expérience avec les hommes d’affaires m’a appris le contraire. Leur cerveau est rarement dans le lieu et l’instant où se trouve leur corps.
– Ils sont tous attentifs physiquement, mais leurs regards sont absents avec une pointe d’amusement ironique au coin de l’œil.
– Même s’ils se comportent comme des animaux dominants, ils ont, dès qu’ils décompressent, des attitudes de ruminants pacifiques.
Sans que je sache trop pourquoi, une citation de René Char me vient à l’esprit : « Impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque, à te regarder ils s’habitueront ».
Et si j’osais ?
– Messieurs, je ne veux pas paraitre outrecuidant ni vexatoire, mais je me dois de vous avouer une cynique vérité. Je ne connais rien aux affaires et encore moins aux cosmétiques. Je remplace la personne qui aurait dû être là. Je fais au mieux pour que rien d’important ne m’échappe, mais c’est tout.
Un silence se fait autour du marbre qui en profite pour réfléchir un rayon de soleil taquin sur l’écran où sont projetés les diaporamas.
Le français se lance, en anglais lui aussi :
– Pareil. Et je suis payé pour ça. D’où le peu d’intérêt de ma présentation d’ailleurs. Ma cliente a saisi cette possibilité pour profiter d’une journée shopping à Londres ou à New York, je ne sais pas.
– Idem complète l’américain, dans la langue de Shakespeare lui aussi. J’ai découvert le sujet il y a deux jours, et j’ai réussi à me faire payer une semaine d’hôtel avec aller-retour en business pour faire ce job. Je n’ai aucune idée de ce que mon donneur d’ordre en profite pour faire pendant ce temps, et ce n’est pas mes oignons.
Les autres sont gênés. Je me demande si parmi eux, il n’y en a pas un qui est vraiment ce qu’il est censé être. Moi qui pensais être seul dans ma profession, je viens de me découvrir des collègues !
– Et si nous refaisions la campagne à notre sauce, suggère un rouquin de petite taille qui n’avait jamais rien dit jusque-là avec un fort accent irlandais ?
Emportez par notre élan créateur, nous voilà tous debout dans la grande salle, lancés dans une tempête de cerveau fébrile cherchant à qui mieux mieux à capitaliser sur les idées des autres. Post-its collés sur le mur, paperboards emplis de schémas, listes de mots couchées sur les tablettes, la créativité explose de nos têtes depuis trop longtemps inutilisées et stériles.
Nous sommes des experts en gestion du temps qui passe et à force de regarder vivre les autres, nous nous sommes fait une idée précise de ce qui les fait bouger.
« Crème rajeunissante pour les visages des femmes blanches entre soixante et quatre-vingts ans »
C’est le peu qui est réellement tout. Le peu occupe une place immense.
À cet âge, la femme cherche à rester jeune, le paraitre est important. Il faut qu’elle termine en beauté : prendre soin de son corps, c’est reculer l’échéance, la défier. Elle veut arrêter le temps, empêcher la faucheuse d’arriver, voir remonter le courant si c’est possible. Et payer d’autres individus à le perdre à votre place n’est pas une solution. Le temps passe malgré tout et laisse ses traces indélébiles.
Après concertation, nous choisissons une starlette de trente ans sans trop de formes, avec un visage parfaitement lisse tout en étant profondément expressif. Une dizaine de manipulations graphiques plus tard, nous projetons son image vers son futur. Elle a un look d’enfer en grand-mère ! Nous décidons qu’elle ne devra apparaitre que grimée en vieille sur tous les spots et plateau télé et que nous mentirons sur son âge réel. Nous ferons courir une rumeur : en réalité, elle aurait plus de cent ans …
Agir en primitif et prévoir en stratège.
Ensuite, nous décidons d’organiser une tombola géante à l’échelle mondiale dans toutes les maisons de retraite. Chaque participant devra mettre une photo d’un ou d’une de ses amis sur un site avec un commentaire précisant pourquoi il ou elle a été choisi. Avec la star pseudo-déclinante, nous ferons un tirage au sort avec des prix fabuleux :
– Trois semaines dans un palace des Seychelles avec cinq jeunes -hommes ou femmes à vous de choisir – pour vous servir en permanence et en tout bien tout honneur, cela va de soi,
– La parution d’un article sur votre vie dans tous les meilleurs journaux de mode et dans toutes les langues avec photos montages à la clef,
– Une Croisière magique autour de la terre, en avion, en bateau, à dos de chameau, le tout pendant trois cent soixante-cinq jours avec dix ami(e)s de votre choix,
– Un Séjour de cinq jours avec la famille royale d’Angleterre et un titre de duchesse en cerise sur le gâteau.
Enfin, pour assurer une promotion efficace, la crème sera vendue avec un pourcentage de réduction égal à l’âge de la cliente. Au-dessus de quatre-vingt-dix ans, le produit ne vaudra que cinq euros symboliques et nous ferons en sorte qu’il soit remboursé par les mutuelles complémentaires. Le coût de revient du produit étant de 2 euros, nous pouvons nous le permettre.
Quand on pense… Qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça ne se vende pas !
Épuisés, nous terminons la réunion après avoir fabriqué l’ensemble des supports nécessaires. Il est deux heures du matin. Il y a des années que je n’avais pas confectionné moi-même un objet dont je suis fier, réalisé quelque chose avec mon cerveau et mes mains. D’habitude, je me laisse porter par les demandes des autres.
Avec deux nouveaux amis – nos relations ont largement évolué durant cet échange -, le français et un japonais basané, nous décidons d’aller fêter cette réussite en boite de nuit. Nous laissons nos affaires professionnelles dans la salle pour continuer demain notre travail.
Jean va faire la queue pour avoir des places pendant que Kengo patiente pour obtenir des tortillas au seranno à un bar encore ouvert. De mon côté, je me débrouille pour retirer de l’argent liquide.
Nous rejoignons Jean et en achevant nos omelettes, nous arrivons pile devant la porte du Razzmatazz, billets en main et les poches pleines de quoi passer une bonne soirée. Notre gestion du temps est optimale !
Les rares moments de liberté sont ceux durant lesquels l’inconscient se fait conscient et le conscient néant (ou verger fou).
À l’intérieur, la foule est dense, excitée, l’air est chaud, moite. Je n’avais été jamais dans ce genre d’endroit, c’est une première. J’ai l’impression d’être porté par des vagues humaines, perdu dans des brumes d’alcool et de parfum. Je suis debout depuis vingt-quatre heures, seul au milieu de cette masse grouillante asphyxiée par le bruit. Je n’ai pas l’habitude de danser ni de m’occuper. J’aimerais trouver quelqu’un qui me demande de m’amuser pour lui, pendant qu’il irait dehors pour respirer, où l’inverse.
Je pourrais me payer moi-même ? Me demander d’aller draguer la magnifique jeune fille qui se déhanche une bière à la main pendant que moi je me laisserais porter, bercé par les effets secondaires d’un joint acidulé. J’ai perdu de vue mes amis de fortune et je ne fume pas. Je ne contrôle plus le temps qui passe. Ma veste doit être quelque part, déposée au hasard sur une banquette. En chemise blanche déboutonnée, je n’ai que mon téléphone et ma carte bleue dans ma poche arrière, fermée à double tour. Je ne sais plus qui je suis, mais je reste toujours bien organisé. Je découvre qu’il me reste encore du liquide dans une autre poche.
Je repense à l’injonction de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque, à te regarder ils s’habitueront ». Agacé par cette phrase qui ne veut rien dire et qui m’attire, je me la répète tel un mantra. Ce résistant surréaliste m’obsède.
Postscriptum, réparer un oubli : qui sème le vent récolte la tempête
Je vais au bar, avale trois shots de vodka, partage quelques tafs avec un voisin de circonstances un peu surpris et me lance sur la piste. Je débranche. Je vis pour moi. C’est nouveau.
Un vide.
Je suis assis sur la plage Icaria, face à la mer et le soleil se lève. C’est beau. Je suis pied et torse nus. Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Par réflexe, je vérifie que j’ai encore mon téléphone et ma carte bleue.
La plage qui chaque hiver s’encombrait de régressives légendes, de sibylles aux bras lourds d’orties, se prépare aux êtres à secourir.
J’ai tout, aucune trace visible sur mon corps, ni piqure ni gueule de bois … Pourtant je suis incapable de savoir ce qui s’est passé, comment je suis arrivé là. Qu’est-ce que j’ai fait pendant ce vide dans ma mémoire ?
Quand on voit c’qu’on voit, puis qu’on entend c’qu’on entend, on a raison d’penser c’qu’on pense.
La suite de la réunion est prévue pour 10 heures, j’ai le temps de prendre une douche.
En me dirigeant vers mon hôtel, j’admire l’affiche qui annonce le prochain match du Barça en ligue des champions. Trente mètres après, je fais demi-tour … le mercredi 16 mai 2018 à 21 heures.
Ça ne va pas du tout. Hier soir nous étions le vendredi 15 mai 2015. Soit ils prennent beaucoup d’avance et ils sont d’un optimise sans faille en pensant que leur club fétiche sera forcément qualifié dans trois ans, soit j’ai un problème. Je consulte fébrilement la date sur mon téléphone : sept heure trente du matin, le samedi 12 mai 2018.
C’est une plaisanterie de mauvais gout ! Des caméras sont cachées derrière les palmiers ? La première pensée qui me vient à l’esprit est que si trois années s’étaient vraiment écoulées, j’aurais une longue barbe et une immense tignasse hirsute, ou des griffes à la place des ongles. Rien de tout cela.
Alors, où est passé mon temps ? Pris d’un doute, je consulte mon site. J’ai un accès direct pour suivre mes comptes. Mon solde est de 500 000 euros et quelques, ce qui correspond à une rémunération de 20 euros de l’heure pendant trois fois 365 journées de 24 heures. J’ai été payé, c’est déjà ça. Mais pour quelles actions ?
L’imagination consiste à expulser de la réalité plusieurs personnes incomplètes pour, mettant à contribution les puissances magiques et subversives du désir, obtenir leur retour sous la forme d’une présence entièrement satisfaisante. C’est alors l’inextinguible réel incréé.
Dépité, je continue malgré tout jusqu’à ma chambre d’hôtel. À ma grande surprise, elle est encore réservée et toutes mes affaires y sont, bien rangées, ou plutôt comme je les avais laissées la veille il y a trois ans, sans aucune trace de poussière. Je retrouve ma brosse à dents et mon dentifrice habituel avec un plaisir étrange.
Après une douche rapide, avec mon savon favori, je pousse dans ses limites la logique absurde dans laquelle j’ai plongé la tête en avant. Je vais me rendre à la réunion comme si elle devait se tenir.
Et le plus amusant et que justement, elle se tient !
La salle entourée de baies vitrées offrant une vue grandiose sur la mer méditerranée dans le lointain n’est pas vide. Une dizaine d’hommes sont là, assis en costume sombre, chemise blanche, cravate noire et lunettes rondes, les mêmes qu’hier.
J’ai peur, je ne sais quoi penser. C’est un complot contre moi ? Ils veulent me rendre fou ? Des extraterrestres jouent avec mon moi ? Les panneaux de la ville, mon téléphone, mon compte, tout a été trafiqué ? En vrai, nous sommes bien aujourd’hui ? J’étais malade de la tête avant et je viens de revenir à la réalité ?
Pendant ce temps la réunion continue, de longues présentations creuses et insipides. Sur ma tablette, le cochon rose me fait un clin d’œil complice. Il a de très grandes oreilles et des cornes sont poussées sur son front. Il enfle à vue d’œil.
Lorsqu’il explose, un message apparait :
Bonjour
J’ai eu besoin de vous pour une mission assez spéciale dont il vaut mieux que vous ne sachiez rien. Il m’a semblé préférable de vous ramener dans cette salle pour que vous repreniez pied dans le monde normal entouré par des visages connus. J’ai du coup payé aussi vos confrères pour qu’ils jouent le jeu. Dès que vous serez en état, dites-leur que vous avez compris, que tout va bien, que la mascarade peut prendre fin. Un bon déjeuner est inclus dans la réservation de la salle, il vous sera servi vers midi. Votre chambre d’hôtel est réservée jusqu’à mardi et le billet de retour vous sera remboursé. J’ai fait en sorte que vos plantes soient entretenues chez vous.
Bonne journée
Paul Gravenchko
IE : Je vous ai bien sûr réglé cette utilisation de votre temps conformément à vos conditions générales. Ne cherchez pas à savoir, ce serait une erreur et je me verrais contraint de vous en empêcher. Ce serait dommage.
NB : Faites attention à ce que vous buvez en boite de nuit la prochaine fois
PS : Les idées que vous avez vous, et les autres participants, émises pour commercialiser notre produit n’ont pas été mises en œuvre. Nous sommes restés sur une approche plus traditionnelle et les ventes se portent très bien.
J’éteins la tablette et je me frotte les yeux. Il est midi moins le quart, bientôt l’heure de l’apéro.
Un jour, je chercherais peut-être à découvrir à quoi j’ai bien pu servir. En attendant, je me demande ce que je vais faire de cet argent !
Je pourrais proposer à un de mes collègues de me vendre du temps ?
Précisions :
- « L’imagination consiste à expulser … » : Citations de René Char connu aussi sous le nom de Capitaine Alexandre
- « Quand on voit c’qu’on voit … » : Citations de Michel Colucci connu aussi sous le nom de Coluche
- « Id Est, définition … » : Citations de personne connu aussi sous le nom de « on »
Qu’est-ce qui fait que je suis persuadé que ce petit bonhomme d’un an que je vois sur un photo et ce vieil homme de 81 ans que vois dans la glace sont la même personne ?
L’hypnose, les psychotropes et le coma sont des moyens de rompre le fil du temps. L’écriture en est un autre. L’auteur s’y essaye avec bonheur en partant d’une situation qui ressemble à une réalité d’emprunt et repose sur des personnages dont on a acheté le temps. Ils sont là au sujet d’une crème rajeunissante qui ne fait que renvoyer à une autre réalité fantasmatique qui est celle de la cosmétique.
En gros, nous assistons à une séance de maquillage du temps. J’aime particulièrement la scène de la boite de nuit où tout bascule, avec ce tic comique du personnage qui se rassure en vérifiant régulièrement sa carte de crédit et son téléphone. En somme, un bon résumé de la dématérialisation et de l’ubiquité.
Je trouve un peu dommage de conclure en essayant de donner une raison à ce qui vient de se passer. Être l’objet d’une manipulation est une raison, même si on n’en connait pas la raison. Mais pourquoi un russe ?
Bonsoir Jean Paul
Merci pour ce retour !
J’aime bien cette notion de dématérialisation (du réel)
pourquoi un russe ? aucune idée ! ça sonnait bien dans l’histoire … je ne voyais pas un américain (trop rigide) ni un chinois (trop différent en terme de culture) …
Bonjour Antoine
Difficile de développer une histoire avec tant d’ingrédients dans un format aussi court : le personnage de looser sympathique à la Steve Carell/Jude Apatow, le retournement au milieu de l’histoire, la surprise de la fin, les nombreuses citations. Mais le tout forme ensemble un peu barré et donc plaisant. Un peu dépareillé également, j’avoue avoir du mal à raccrocher les citations à la narration.
Il y a quelque chose qui me plait dans cette façon faussement sage d’écrire. Commencer pianissimo pour déraper ensuite. La pépite est peut-être là mais c’est encore un peu timide à mon goût. C’est un choix à approfondir, notamment dans le dosage des ingrédients et à imposer en sachant qu’il ne plaira pas à tout le monde.
Merci pour ce moment de partage et à bientôt.
Vincent
Bonsoir Vincent
Merci pour ce retour !
Sympa !
Pour les citations, c’est volontaire, une sorte de mise en perspective décalée entre le sérieux, l’humour et le générique … en même temps, il y a toujours un lien (ténu parfois, certes)
Pour ce qui est du faussement sage, c’est effectivement ce que j’aime bien. Et reste à le transformer en pépite plus visible ;-))
Comme d’habitude, bien écrit, suspense bien améné.
L’auteur, familier des mondes virtuels, explore ici un nouveau domaine.
Un personnage, spectateur contemplatif, a trouvé un job qui correspond bien à son profil. Il vend du ‘temps’ à ceux qui en manquent. Il se rend compte qu’une réunion à laquelle il participe est organisée par seulement des ‘remplaceurs’. Ils prennent momentanément le pouvoir, sans suite.
Comme une voix off des maximes au second degré, plus ou moins inventées, encadrent le déroulement du thème.
Il est dépassé par sa fonction et fait un remplacement dont il ignore la nature, suite à une manipulation de son employeur.
Son cerveau seul ? a été mis à contribution et ça lui a couté 3 ans de sa vie, temps rémunéré. Retour manipulé au présent.
Un monde dans lequel on utilise autrui comme un robot intelligent mais privé de son libre arbitre.
Les récits d’enlèvement par des extraterrestres (également appelés abduction dans les milieux ufologiques) sont l’un des aspects les plus controversés de l’ufologie et du phénomène OVNI. Le premier récit d’enlèvement rapporté sous hypnose est celui de Betty et Barney Hill aux États-Unis, en 1961. Depuis, des milliers de personnes, principalement aux États-Unis, ont prétendu avoir été enlevées par des extraterrestres. Bien qu’on ne puisse écarter l’existence d’un phénomène psychosocial, la controverse réside essentiellement dans l’opposition entre l’absence de preuves scientifiques et la sincérité de certains témoignages. Dans le système de classification de Hynek, les abductions sont répertoriées en tant que « rencontre rapprochée du 4e type » (RR4).
Voyage
La nouvelle s’appelle Voleur de Temps. Une fois de plus Antoine Jove nous emmène de la réalité à un monde absurde, le temps que l’on réfléchisse et que l’on s’attache à son personnage.
Volez du temps à votre votre temps et profitez de quelques délicieuses minutes de lecture…