Bonjour à toutes et à tous
Pour tordre le cou aux rumeurs, la vérité doit être écrite, même si personne n’y croit. Nous avons choisi de la faire publier sur ce site entièrement automatisé pour que notre message perdure malgré notre nettoyage.
Il y quarante-deux ans, nous avons découvert par hasard le THM. Des animaux de notre laboratoire ayant bu du « T » puis respirés du « H » réagissaient de façon étrange aux notes de « M ». Pendant les cinq années suivantes, espoirs et déceptions se sont enchainés au fur et à mesure des tests. L’élaboration de notre stratégie s’est faite en parallèle. Nous sommes devenus une équipe et nous avons bâti notre plan pour obtenir les moyens financiers nécessaires. Nous ne sommes pas des extra-terrestres. Nous avons beaucoup ingurgité de bières, grimpé aux arbres dans notre parc et fumé des joints en écoutant des albums de Muse. Il faut bien stimuler la créativité.
À l’aide d’outils statistiques puissants, nous avons estimé la durée optimale pour atteindre une couverture par le T de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la cible à dix-huit ans et six mois. Au bout de quatorze ans, nous avons entamé la dispersion du H en commençant par les zones les plus désertiques. Il fallait éviter un effet prématuré du catalyseur M, un air joué par erreur par un musicien pouvant suffire.
Reconnaissons-le, des tensions sont apparues au sien de notre communauté quant à l’objectif final. Certains ont désiré sortir de l’isolement dans lequel nous nous étions retranchés : nous avons répondu à leur attente de façon définitive puis les avons enterrés avec tout le respect que nous leur devions. D’autres ont voulu changer les effets du THM pour optimiser la sélection ou varier ses impacts. Nous les avons fait réagir à leurs propres inepties, paix à leurs âmes de cobaye. Notre groupe s’est rétréci jusqu’à son noyau dur, trois femmes et cinq hommes, le rendant encore plus efficace. Effet collatéral, les héritages reçus nous ont procuré une manne de dollars abondante et largement suffisante pour le reste de notre plan. Nous ne sommes pas des fous. Vivants seuls au milieu de nulle part, nous avons joué à des jeux vidéo en réseau, creusé des galeries embellies au fil de l’eau de jolies peintures néo-rupestres.
Et puis, nous avons aussi bu de la vodka – nous avions épuisé les stocks de bière – et détourné les applications sportives de notre console sans manette pour nous livrer à des parties fines entre nous. Il faut bien se défouler.
La semaine dernière nous avons atteint le point P, le moment idéal pour appuyer sur le bouton. C’est une image. Dans la réalité, il s’agit plutôt de la diffusion de notre mélodie sur tous les médias – d’internet à la radio, en passant par les restaurants et les hôtels – de façon simultanée. Nous avons aussi prévu des drones équipés d’énormes enceintes pour couvrir le reste du territoire. Il ne faut oublier personne. Quelques jours ont été nécessaires pour nous remettre de la fête arrosée de bulles. Nous avons abusé, ce n’est pas raisonnable.
Plusieurs questions ont entrainé de longues et âpres discussions entre nous. Il nous a semblé important d’en partager certaines avec vous.
Quand avertir ? Trop tôt, nous aurions semé la panique, des équipes de chercheurs se seraient lancées dans la quête de solutions palliatives et les services secrets de tous les pays auraient remué ciel et terre pour nous localiser. Juste avant aurait été cynique : « il vous reste une heure, profitez-en bien ». Nous ne sommes pas des brutes. Le faire vingt minutes après serait passé pour de l’ironie lourde : « ça va ? Vous n’avez pas eu trop mal ? ». Nous avons donc décidé que ce serait à l’instant I, en même temps que le déclenchement. Il fallait bien trancher.
Quel taux d’élimination prendre ? C’est le paramètre clef du mélange. Si nous choisissions un vingtième, le chaos aurait été terrible et nous n’aurions pas pu nous en remettre. La moitié était loin d’être suffisant. Nous pensons que cette manipulation ne peut se réaliser qu’une fois. Après de longues discussions philosophiques et économiques, les fondamentaux nous ont sautés aux yeux : quarante-deux serait la base, c’est la réponse à la question « Pourquoi l’univers existe-t-il ? » ; π serait l’opération, symbole du cercle et de la vie éternelle ; et le nombre d’or serait la fin, beauté et perfection. Nous avons obtenu un ratio de 8.2627 pour 10 somme toute assez élégant. Par chance, c’était en ligne avec les résultats de nos essais.
Fallait-il être sélectif ? Avec notre assemblage de produits, nous pouvions ajouter des filtres en fonction de certains critères génétiques : augmentation de la probabilité pour les blonds, réduction pour les yeux bleus… Bien sûr, des stigmates comme « riche » ou « génial » ou « beau » ne nous étaient pas accessibles. Au final, nous avons opté pour la sélection naturelle : tous pour un, un pour tous, sauf nous, soyons sérieux.
Pour arriver à ces conclusions, nous avons expérimenté plusieurs méthodes collaboratives, à base de post-it de toutes les couleurs, remis en cause plusieurs fois nos études. Et surtout, nous avons bu du whisky par manque de vodka et fait l’épreuve de qui réussit à lancer le plus loin le caillou et dormi beaucoup. Nous avons aussi repeint notre nid en vert fluo et essayé de faire des œufs mollets parfaits, ce qui est plus compliqué qu’on ne le pense.
Bref, venons-en au fait.
Aujourd’hui, notre planète est passée de 7 milliards et quelques habitants à un peu plus de 1 milliard. Ça va faire de la place !
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Bonjour
C’est encore nous.
L’évidence nous a échappé, comme souvent dans les grandes découvertes scientifiques. Le THM n’a laissé qu’un homme pour dix femmes et a été beaucoup plus efficace que nos prévisions sur les moins de vingt ans et les plus de soixante ans.
Nous sommes désolés. Nous nous serions bien suicidés collectivement pour nous punir, mais cela n’aurait rien changé. Alors, nous avons juste respecté une minute de silence et avalé que de l’eau pendant deux jours.
Avec toutes nos excuses
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Bonjour
Je suis le seul élément encore vivant de notre groupe initial. Les autres ont été châtiés comme il se doit. Un vase contenant leurs cendres décore ma cheminée.
Effet secondaire imprévu du THM, les femmes sont devenues beaucoup plus intelligentes. Je devrais me réjouir, mais n’ayant pas été soumise au nettoyage, je suis ramenée au rang d’idiote par rapport au commun des mortels, alors que j’étais préalablement du côté des génies. C’est humiliant.
Sinon, cela s’est révélé plutôt bénéfique. La gente féminine s’est organisée pour disposer le plus harmonieusement et efficacement possible des mâles survivants qu’elles ont parqués dans des zones réservées pour rendre leur utilisation plus simple. Un accord mondial a été mis en place, basé sur une langue et une monnaie uniques. Les femelles sont pacifiques !
Voilà, je vais quitter ma retraite pour parcourir la planète, maintenant propre, après avoir détruit toutes les traces de notre passage. Je me demande ce que feront de moi mes contemporaines : m’idolâtrer comme le sauveur de l’humanité ou m’enfouir dans une tombe en tant que plus grand assassin de l’histoire ?
Quoi qu’il en soit, ceci est le dernier message du groupe THM.