Le mois de mai est celui du bonheur, de la nature qui chante. Mais, pour Chrysolide ce n’était pas le cas. À peine âgée de douze ans, le diagnostic des docteurs était sans appel : cancer généralisé. Elle était fatiguée depuis le début de l’année, mais ses parents ne s’attendaient pas à une telle nouvelle et ils étaient désespérés. Leur fille unique allait mourir avant l’été selon la médecine.
Le père avait des amis aux états unis qui lui avaient parlé de la cryogénisation. Par hasard, alors qu’il en discutait avec son épouse, Chrysolide entendit. Elle se renseigna à fond et décida que c’était la seule solution si elle voulait avoir une chance de courir un jour sur une plage et plonger dans la mer. À force de larmes, de sourires et de patience, elle convainquit son père qui hésitait en demandant surtout comment financer cela. Sa mère était rapidement devenue son alliée dans cette ultime quête.
Chrysolide régla le problème en postant un appel aux dons sur Facebook. Elle récolta, avec une simple photo d’elle agrémentée d’un texte très court, plus de deux cent mille euros. Cela lui permettrait de couvrir les frais. Son père finit par céder aussi. Pourquoi pas après tout.
Bien sûr, cela voulait dire qu’elle devait d’abord mourir. En effet, ce procédé de conservation par le froid, à une température de cent quatre-vingts degrés Celsius au-dessous de zéro, est interdit pour les vivants, le corps du patient devant être déclaré cliniquement mort. Elle serait une des quatre cents cryogénisés aujourd’hui de par le monde.
Le dix juin, tout était réglé. Elle était morte puis congelée. Si l’on voulait faire de l’humour noir, on pourrait dire que c’était le contraire de Jeanne d’Arc qui avait brulé avant de mourir … Son appel avait été entendu.
Une semaine plus tard, sa mère se demanda si Chrysolide était morte ou vivante ou « peut-être » vivante. Devait-elle porter le deuil et pleurer sa fille ou au contraire faire la fête en attendant qu’elle se réveille ? Elle chercha une réponse dans les diverses religions et n’en trouva pas. Ce cas n’était pas prévu, ceci étant largement dû au fait que cette technique n’existait pas quand les prophètes avaient transmis leur message. Même la réincarnation était inappropriée : comment se réincarner en soi-même ? Bourrée de tranquillisant, sa mère mourut à la fin du mois de juin d’une overdose.
Vingt ans plus tard, son père demanda à la société qui gérait le corps refroidi de sa fille à la voir. Il avait accepté la situation en faisant abstraction de toute raison et tout sentiment. Pour lui sa fille était morte. De toute façon, il ne lui parlerait plus jamais, car lui-même serait décédé bien avant que Chrysolide ne revienne (si cela devait être le cas) à la vie.
La société refusa arguant que cela lui ferait un choc. Il prit un avocat et au bout de cinq ans, gagna son procès. Il craignait en fait que l’entreprise se soit débarrassée du corps pour éviter des frais, faire plus de marge et profiter de son argent.
Mais ce n’était pas le cas. La Directrice du site était une femme bienveillante qui prit grand soin de lui après sa réaction à la vue du corps de sa fille blanc et inchangé, bloqué dans le temps à l’âge de quatorze ans. Il fit un AVC qui le laissa dans un état de faiblesse physique et mentale. Il mourut dans l’année.
Trois siècles plus tard, la science avait enfin évolué. Ramener à la vie un corps qui venait de mourir était maintenant possible. Après plusieurs tentatives, le taux de succès avait atteint le maximum de deux chances sur cinq. Tout dépendait de l’état du patient juste avant. Il fallait choisir : Laisser encore passer un ou deux siècles ou faire l’essai. Les équipes en charge décidèrent de faire un tirage au sort. Un cryogénisé sur deux serait réveillé dans l’année et les autres attendraient. Les tests s’étaient limités à la technique de réveil. Ils n’avaient pas eu la patience de voir dans quel état serait la personne ensuite. Elle était vivante, c’était le principal.
Chrysolide gagna le gros lot. Elle fut élue par le hasard et la manipulation fonctionna.
Elle ouvrit un œil, allongée dans une chambre blanche, sur un matelas d’eau douce. Il lui fallut une dizaine d’années pour réussir à dire quelques mots et faire quelques pas. Il était impossible de guérir les conséquences de sa mort sur son cerveau et son tissu nerveux malgré les progrès de la médecine. Sa progression serait très très lente.
Elle ne prit jamais conscience que les murs de sa chambre étaient des miroirs sans tain et qu’elle était installée au cœur d’un genre de zoo dont elle était une des principales attractions. En comparaison de tous ceux qui avaient été ramenés à la vie, elle était celle qui se comportait le mieux. Les autres étaient restés à l’état de légume végétatif.
Les humains avaient beaucoup évolué aussi pendant cette période. Ils étaient devenus des sortes de boule – une petite, la tête, posée sur une grosse, le corps – branchés sur des intelligences artificielles, vivant dans des capsules – grand fauteuil moulant – à roulettes se déplaçant toutes seules, commandées directement par les pensées. Les jambes et les bras ne leur servaient plus à rien, plongés qu’ils étaient dans le monde virtuel de la communication.
Voir un être avec des membres se comporter gauchement et faire des borborygmes leur plaisaient beaucoup. Ils pouvaient constater à quel point ils avaient progressé.
Le zoo fut fermé faute de budget et d’intérêt – tout passe, tout lasse – quelques années plus tard.
Chrysolide, à l’âge de soixante-cinq ans, demanda à voir son père et sa mère. Ses infirmiers avaient offert à sa disposition des livres de son époque pour qu’elle ne soit pas trop dépaysée. Elle vivait dans un espace isolé avec sa chambre, un endroit pour manger, des toilettes et un petit bout de jardin. Elle y avait mis le temps, mais elle avait fini par comprendre qu’elle devait avoir des parents comme les héros de ses histoires.
Un des infirmiers réussit à trouver dans les archives une photo d’elle en famille avant sa mort. Contre l’avis des médecins, il s’arrangea pour la lui faire passer.
Un soir, à la lumière de la lune, elle regarda l’image allongée dans l’herbe.
Son cœur céda et elle put enfin s’endormir pour l’éternité, rêvant sans fin de cette petite maison dans laquelle elle avait grandi.
PS : les infos à début décembre 2016 sont « vraies » ….