Bertrand est heureux, la joie inonde d’un rayon de soleil lumineux son esprit créatif. Il a enfin réussi à attirer l’attention de la divine Caroline ce soir après son travail, par l’orchestration d’un malaise dont les résultats ont été bien au-delà de ses espérances. En ce mardi radieux, ils ont enfin échangé quelques mots.
Pour se mettre en condition, Bertrand avait passé la journée à se gaver en cachette dans les toilettes de son travail de burgers gras noyés dans son estomac à limite du gavage par une quantité phénoménale d’expresso ultra serrés. Malade comme un chien sur les nerfs à force de tournera en rond pour se mordre la queue sans jamais y arriver, il n’avait pas eu à faire beaucoup d’efforts pour s’effondrer devant la caisse, masse inerte au bord de la crise cardiaque.
Artigus est né du stress existentiel provoqué par la rencontre incongrue entre le regard d’une âme en quête et des yeux verts éblouissants. Enfanté par des années de retenue, il n’attendait que cette émotion pour venir au monde. Il ne le savait pas encore mais il a eu la chance de tomber sur Caroline, véhicule idéal pour réaliser ce pourquoi lui et Bertrand ont été créés.
Gestionnaire de sinistre de trente-deux ans, Bertrand vit seul dans son petit appartement au troisième étage sans ascenseur de la rue Saisset dans la banlieue Sud de Paris, pas loin du périphérique. Son existence est régulée par ses allers retours en train chez ses parents le weekend qui s’occupent de son linge et lui préparent ses gamelles pour la semaine, l’occupation qui procure des revenus pour son loyer et ses soirées à lire de la science-fiction en regardant la télévision du coin de l’œil.
Bertrand n’est pas un esthète, c’est un créateur en sommeil qui n’a découvert l’usage du déodorant et de la ceinture que lorsqu’un collègue a eu le courage de lui dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas. Il a le WIFI bien sûr et un ordinateur portable, mais il ne s’en sert pas souvent, son réseau de relation étant assez limité comme son talent la communication. Il préfère s’évader dans l’ailleurs d’aventures fantastiques, sentir le papier vivre entre ses doigts, vibrant avec les héros parcourant l’univers pour vaincre les peurs qui les hantent. Il se voit très bien en génie musclé sauvant les demoiselles en détresse le matin et l’univers en fin de soirée, ou refaire un monde meilleur en changeant discrètement le cours de l’histoire.
Du haut de son mètre soixante-six, ralenti par sa masse de soixante-quinze kilos, ses cheveux noirs rasés ne volant pas dans le vent, il n’est pas prêt d’y arriver.
Artigus a découvert ce qui l’entoure à travers les émotions de son géniteur et accessoirement garde-manger élément essentiel d’une croissance rapide favorisée par l’absorption récurrente de plats en sauce. En soirée, un moment d’extase puis le délire d’aventures abracadabrantes, repos d’un cerveau incapable de bruler son surplus d’énergie dans cette vie routinière. Pendant la journée il dort bercé par la torpeur de la répétition de tâches stériles, à peine réveillé par les discussions futiles du déjeuner. Les weekends, il savoure le délassement complet de la sieste dans la petite chambre où Bertrand est né, transformée que de quelques accommodations mineures. Rien ne vient perturber l’inertie de la routine réconfortante sauf des rêves indécents, fantasmagoriques, emplis de sexe et de batailles, de pouvoir et d’orgueil dont Bertrand ne garde aucun souvenir à son réveil.
C’est dans la librairie de la rue Victor Hugo en voulant commander un livre qu’il n’arrivait pas à trouver sur internet – l’intégrale des nouvelles de Sturgeon –que Bertrand a été happé par le charme discret de la douce Caroline au regard d’émeraude mis en valeur par ses petites lunettes rondes. Assise derrière son comptoir, son prénom étiqueté sur son pull, sa patience souriante a fait fondre le cœur de notre agneau solitaire. Malgré tous les outils de recherche à sa disposition, aucun résultat n’est apparu sur son écran. Du coup, Bertrand, emporté par son élan, a choisi « Un peu de ton sang », pas forcément le meilleur choix pour une entrée en relation. Au même moment, Artigus venait d’acquérir de naître à la conscience.
Depuis ce jour, la vie de Bertrand a changé. Il cherche par tous les moyens à attirer l’attention de Caroline, à trouver une occasion de lui parler. Elle doit a dans les vingt-cinq ans, n’a pas d’alliance et semble légère comme une douce plume. Ses grands yeux verts nimbés de poésie et de délicatesse le hantent.
Le matin, le rideau de fer est encore en place, écran noir sur ses rêves. Le soir, il n’a qu’un quart d’heure avant la fermeture pour errer dans la boutique feuilletant un livre ici, lisant la quatrième de couverture là-bas, même si la majeure partie des œuvres en vente parle d’anciennes civilisations. C’est l’instant d’euphorie d’Artigus.
La première tentative d’entrée en contact de Bertrand a été de demander un livre situé tout en haut d’une étagère « les romains, au temps de Pline le jeune, leur vie privée » de Maurice Pellisson. Caroline a répondu dans un sourire coruscant qu’il n’avait qu’à se servir lui-même en montant sur le petit escabeau prévu à cet effet posé du côté des philosophes grecs. Bilan : cinquante-cinq euros de dépense imprévue. S’étant senti obligé de le lire des fois qu’elle lui en parle à sa prochaine incursion, à sa grande surprise, il avait bien aimé : ce n’était pas si loin de la science-fiction. C’est tout aussi dépaysant par rapport à son monde contemporain ! Bertrand a même apprécié certains passages, bien écrits, fluides et plein d’imagination. Et puis, une parole de Caroline n’a pas de prix.
Pour son deuxième essai, Bertrand a laissé choir par mégarde un sac dans lequel il avait pris soin de mettre quelques-unes de ses lectures préférées. Caroline n’a jeté qu’un coup d’œil inattentif aux tas accumulé sur le sol, revenant rapidement à la lecture de son roman qu’elle feuillette indolemment dans l’attente du client. Après avoir ramassé ses livres, penaud, il a payé sa nouvelle acquisition « Post-scriptum sur l’insignifiance » de Castoriadis.
Pendant ces quelques semaines, Artigus a grandi. Il a commencé sa mutation, préparé le destin.
Allongé sur le sol dur qui lui fait mal, la tête en marmelade, le cerveau proche de l’implosion, un sale goût dans la bouche et les yeux dans le vague, Bertrand contemple béatement le visage de Caroline penchée sur lui. Il est au paradis, son ange le cajole d’un regard attendri, inquiète pour lui.
– Monsieur … Ça va mieux ? Vous ne vous êtes pas fait mal ?
– Ça va passer, je vais rester quelques instants allongés.
– Vous voulez que j’appelle les pompiers ? Je n’ai rien à vous donner à manger ou à boire.
– Non, j’habite juste à côté, je vais me remettre ne vous inquiétez pas.
Bertrand, après être resté assis par terre quelques minutes, a fini par s’extraire du sol pour sortir du magasin en quelques pas mal assurés, tanguant autant sous l’émotion du premier contact que de son état semi-comateux.
C’est de retour chez lui qu’il a réalisé le niveau de bonheur parfait qu’il avait enfin atteint : il lui avait enfin parlé, elle l’avait remarqué.
Ce raz de marée de passion a déclenché la transmutation. Pendant la nuit, Artigus a pris le contrôle, reléguant l’ancienne personnalité de Bertrand au fond des oubliettes générées par les méandres de son cerveau.
Le mercredi, au travail, Artigus, le crâne rasé et la barbe naissante, a étonné ses collègues par son humour noir sans pitié, son sens de la dérision et son efficacité. Le col de chemise ouvert de deux boutons, les épaules droites et le menton fier, il a manifesté une empathie hors du commun prenant soin, au café, de prendre des nouvelles de chacun, chaque répartie faisant mouche. Vif et plaisant, ce nouveau Bertrand a illuminé l’open space de son charme ravageur.
A dix-huit heures, Caroline a accepté de venir avec lui au restaurant au bord de l’eau qu’il avait pris soin de réserver. Après être passés par chez elle en taxi pour qu’elle puisse se changer, ils ont passé un début de soirée merveilleux, arrosée d’un champagne revigorant, délicatement enivrant.
A deux heures du matin, le jeudi, Caroline avait cédé à ses avances, lui offrant bien plus qu’un sourire.
Deux heures plus tard, Artigus mourut, sa mission accomplie, laissant le corps de Bertrand dans un état de catalepsie, enveloppe vidée de sa substance créatrice.
Neuf mois plus tard, Caroline, innocentée après l’enquête qui avait conclue sur un accident vasculaire cérébral étonnant mais pas impossible, donna naissance à un magnifique bébé.
Le jour de ses huit ans, un samedi, son destin s’organisa pendant que sa mère travaillait dans sa librairie. Caius (Julius) disparut au parc Astérix où il était allé avec la famille d’un ami. Il fit beaucoup parler de lui …
Caroline se retrouva seule à trente-trois ans. Elle n’avait vécu que pour son enfant et sa librairie, qu’elle avait héritée de ses parents.
Quelques jours avant son départ, la librairie vendue pour une bouchée de pain à une future onglerie chinoise, elle décida de sauver quelques livres, entreposés dans un coffre en fer qu’elle conserva dans la petite chambre de sa maison de retraite, sachant parfaitement que tous les autres seraient mis au rancard, au mieux stockés au fond d’une cave.
Trente ans plus tard, le lendemain de sa mort, sans héritier, son voisin historien avec qui elle avait lié une amitié sincère pris possession de son héritage, le coffre, qu’il ouvrit avec curiosité ne sachant pas du tout ce qu’il y trouverait. Les livres qu’il y découvrit le fascinèrent.
Dans le Jules César de Joyce Mansour édité en 1955, il fut surpris de constater que ce dernier célébra son triomphe pour sa victoire contre Pompée le jeune. Et qu’à partir de là, tout le livre n’était que calembredaine : Pourquoi aurait-il reçu le nom de Liberator et le titre d’Imperator ? D’où sortait ce Brutus ?
Tous les européens savaient bien que Julius César avec réussi à unifier l’Europe pour en faire une puissance démocrate solide et conquérante ! Que ce serait-il passé si cela n’avait pas été le cas ?
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elises – long cri – cepexieren faiparmentte sieurs – cri court – vobar layassent – cri court – vobar enceignites – cri court – vobar temporisateur – cri court – reprimee cuinbation puro perojicton protemelle misere clape piton flec cusces lotta – cri moyen – vive fefle dogo nic – long cri –
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Traduisons les paroles du dirigeant Laplikar : « Liesse ! Notre expérience a parfaitement réussi ! Bravo les analystes ! Bravo les généticiens ! Bravo les temporiateurs ! La première incubation pour projection temporelle en vue d’une remise en place au point clef est un succès total ! Vive Feell Good Inc »
Les Laplikar ont décidés de reformater, pour leur bien sans aucun doute, les civilisations, sur les systèmes solaires voisins, qui ont dérivées vers des dictatures dangereuses pour les autres espèces à terme. Ils ont pour cela créés la société Feel Good Inc dont la première mission vient de s’acheter sur la planète terre.
On se trouve embarqué dans une petite histoire sentimentale qui ne paye pas de mine mais dont la temporalité incertaine intrigue le lecteur.
Récit troublant et bien tricoté.
Le personnage étant « gestionnaire de sinistre » cela ne pouvait qu’être de mauvaise augure.
Julius Caïus est un raccourci saisissant, sachant que Caïus Marius était oncle de Julius Caesar.
De là à le faire disparaître au parc Asterix … fallait oser.
Bien tourné !
Merci.
J’ai un peu hésité avec un autre « héros » mythique genre Charlemagne ou un empereur chinois et finalement mon choix s’est arrêté sur celui qui aurait pu conquérir le monde …
Une très belle description des sensations amoureuses. C’est chouette que ton héros ait accéder au Bonheur. On vibre avec lui et son côté excessif. Cela me rappelle la littérature russe.
Puis… on reconnait bien la construction de tes nouvelle dans la suite de l’histoire et… la chute historique qui permet de sortir du sentiment de tristesse où nous plonge la suite de ton histoire.
Si ton objectif est de provoquer en nous des sensations : REUSSI ! Top !
Et ma suggestion de bisounours : pourrais-tu, à la prochaine nouvelle, commencer par les sensations négatives pour continuer l’aventure sur des ressentis de joie ! Rires…
Bravo pour cette nouvelle. Merci.
Merci pour ton commentaire !
pour « Et ma suggestion de bisounours : pourrais-tu, à la prochaine nouvelle, commencer par les sensations négatives pour continuer l’aventure sur des ressentis de joie ! Rires… » , je vais essayer ;-))