Il est temps que nous, les holothuries, prenions la parole avant que nous ne soyons exterminés par votre espèce sans cœur (et surtout sans cervelle).
Certes notre corps est mou, oblong, primaire et nous faisons peur aux enfants qui font du snorkeling (en gros nager dans l’eau avec des palmes et un tuba) en méditerranée au bord des criques (c’est d’ailleurs le cas de l’auteur qui a vécu un grand stress vers dix ans en se retrouvant face à face à ce qu’il considérait être un monstre rampant. Il s’en est remis depuis, les séquelles ne sont pas trop visibles, merci pour lui).
Ce n’est pas parce que nous respirons par notre cloaque que nous sentons mauvais de la bouche qui est ailleurs. Bouche qui nous est fort utile pour avaler du plancton, des détritus et des sédiments ce qui nous rend essentielle pour l’écosystème … mais ça, vous avez tendance à l’oublier ! Et oui, nous faisons en permanence la bioturbation et de l’épuration, nous homogénéisons les sédiments … ça vous en bouche un coin !
Nous sommes sensibles au toucher, à la lumière et aux composants chimiques que vous jetez dans l’eau sans tenir compte de ses occupants. Ce qui a le don de nous rendre malade et de nous énerver !
Nous sommes des êtres benthiques, calmes, vagiles et paisibles : nous digérons en une journée et demi pour profiter à fond de tout ce que nous ingurgitons et notre vitesse de pointe (en descente avec le courant dans le dos) est de l’ordre de trente centimètre à l’heure sur nos podias (qui nous permettent aussi d’adhérer solidement au sol pour éviter que des prédateurs nous délogent, voir de nous tenir à la verticale quand c’est nécessaire, mais nous y reviendrons plus tard). Nous savons prendre le temps de ressentir notre environnement, de penser à la grande question « pourquoi l’univers existe ? » (et à son corollaire, « et moi dans tout ça ? »).
Nous savons nous défendre contre les étoiles de mer (sales bêtes à pattes encore plus lentes que nous) et autres crabes (nuisibles à pinces) et balistes (poissons totalement ridicules avec une grosse bouche pleine de dents) : nous émettons des toxines cytotoxiques et hémolytiques. Nous pouvons même en cas d’alerte vitale nous éviscérer (nous rejetons sur l’ennemi une partie de nos organes internes). Il nous faut quand même une centaine de jours pour nous régénérer, alors nous n’en abusons pas.
Vous avez entendu du parler du commensalisme ? non, bien sûr. Et bien, pour nous c’est naturel. Notre cavité coelomique accueille avec plaisir des petits crabes, des crevettes nettoyeuses et même des petits poissons qui viennent s’y reproduire. Vive la vie en collectivité !
Cerise sur le gâteau, nous avons un talent particulier (source de tous nos malheurs) : notre corps structuré par des fibres de collagène est capable de changer de structure en une fraction de seconde : nous pouvons nous rétracter et nous durcir pour être aussi dur que de la pierre. Et c’est ce que nous faisons en nous redressant lorsque nous envoyons nos œufs découvrir le vaste monde.
Se durcir, s’ériger, envoyer de la semence … cela ne vous rappelle rien ?
Du coup, vous, bande d’abrutis décérébrés, avez pensé qu’en nous mangeant cela aurait un impact sur votre virilité souvent défaillante !
D’où les sobriquets dont vous nous affublez sans vergogne : vié marin (sexe de mer en provençal), pich du (phallus noir en breton) … Le seul que nous trouvons sympa c’est concombre de mer (nous tolérons aussi bêche de mer). Nous nous imaginons parcourir l’océan masqués tel des sauveurs incognitos …
D’où aussi votre appétit sans limite et la réduction drastique de notre population.
Au début, cela allait. Vers l’an mille, vous nous péchiez à la main, de temps en temps.
Même la Capitaine Némo nous servait à table : « Goûtez à tous ces mets. Voici une conserve d’holothuries qu’un Malais déclarerait sans rivale au monde ». Et nous avons aussi un Pokémon : le Concombaffe qui combat grâce à ses tubes de cuvier (j’avais oublié de vous dire que certains d’entre nous peuvent projeter une masse de filaments gluants, les « tubes de Cuvier », qui immobilisent notre adversaire)
Mais depuis le vingtième siècle, vous avez industrialisé notre destruction : c’est un génocide ! (N’ayons pas peur des mots).
Certains d’entre vous se disent (pour se donner bonne conscience ?) qu’il faut nous défendre. En 1990, ils ont créé le SPC Bêche de mer. Cela n’a pas changé grand-chose pour nous. Simplement, maintenant, vous savez que vous nous détruisez …
A la fin des années 1970 la consommation mondiale de « nous » était de 25 000 tonnes. Depuis notre population a diminué de 98% au Galápagos et de 94% en Égypte, pareil en Asie, malgré l’interdiction de récolter à outrance (merci les braconniers).
En France, seuls quelques catalans consomment de l’Espardenya (une de nos espèce). A l’ex-grand-messe du vingt heures de TF1 (maintenant, il y a internet …), ils ont parlé de nous le seize juin deux mille dix-neuf pour dire que nous étions un animal menacé de disparition. Vous (les français) avez même proposé que nous (premiers recycleurs de matière morte) soyons dans la liste officielle des espèces menacées. C’est cool que vous vous occupiez de nous juste avant de nous faire disparaitre …
J’appelle donc tous les humains à cesser immédiatement de nous consommer. Nous sommes mous, moches et lents et comptons bien le rester longtemps !
Merci de partager (après avoir traduit dans toutes vos langues insipides, surtout celles d’Asie puisque ce sont qui abusent le plus)
PS : ne dramatisons pas non plus. En pratique, il n’y a aucune chance que vous réussissiez à tous nous détruire totalement et notre vie reste très cool au fond des océans.