Ça sert à rien d’écrire des chroniques
6 mars 2015 à 19:06
Marine Le Pen va être présidente de la République, très bien. Les Français en ont envie, on n’y peut rien, très bien. Le président du Crif lui-même la trouve irréprochable. C’est parfait. Son entourage, ses fréquentations, est la seule chose qui le gêne, très bien. Il ne pourrait pas voter pour le FN mais pour elle pas de problème, il y a un distinguo, très bien. Les Juifs se font tuer et la presse parle d’islamophobie, très bien aussi. Marine Le Pen dit que son parti offre aux Juifs la meilleure protection possible, parfait. Mais qu’on ne nous demande plus d’écrire des chroniques, etc. ! Il y a quelque chose à dire ? Ça sert à quelque chose ? Il y a quelque chose à ajouter à ça ? Il faut commenter ? Pourquoi ? Il faut écrire ? Il faut réagir ? Pour quoi faire ? En admettant que ça intéresse des gens, ce qu’on a à dire on le dit comment de toute façon ? Il faut dire quelque chose ? Admettons ! Comment ? Une petite bande en Alsace décide d’aller vandaliser le cimetière juif de leur village, tout le monde s’empresse de dire qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, c’est parfait. Pardonnez-leur mon Dieu ils ne savent pas ce qu’ils font. Les jihadistes ont des excuses parce qu’ils viennent de milieux socialement difficiles ? OK. Parfait. Il y a pas de passé ? Il y a pas d’avenir ? Il n’y a que des conditions sociales ? Des quartiers, des salaires, des indemnités de chômage ? C’est tout ce qu’il y a ? Les humains ça se résume à ça ? Rien d’autre ? Il y a pas de pensée ? Il y a pas de liberté ? Il y a pas d’espoir alors… Il y a pas d’humanité… C’est ça ? Il y a que des cases alors… On n’a pas le droit de demander aux musulmans de se désolidariser des actes terroristes des islamistes ? C’est une insulte ? Pourquoi ? On ne peut pas s’exprimer sur l’acte d’un membre de sa famille ? Quand il fait des horreurs on n’a pas le devoir, au contraire, de s’en désolidariser, de dire que soi on ne pense pas comme lui ? OK ! OK OK OK. Pas de problème. Chacun vit sa vie. On demande rien à personne. On laisse tomber. D’ailleurs on va arrêter d’écrire. On va arrêter d’y croire. On va arrêter de défiler dans les rues à quatre millions en chantant la Marseillaise, ça ne sert absolument à rien. Il y a un lien social entre nous ? On a un lien ? Ou tout ça, c’est fini. Rideau. Allonz’enfants nulle part. On va élire Marine Le Pen. On va pas lui demander de se désolidariser du discours de son père. Pas la peine. On va pas exiger qu’elle dise c’est un salopard. Elle est pas responsable de son père, si votre père viole votre sœur vous êtes pas obligé de la croire, vous pouvez croire votre père, vous pouvez tout à fait vous payer ce luxe. Elle est pas non plus responsable de ses électeurs. D’accord elle les chauffe un peu en meeting en leur faisant siffler tout ce qui est intello en le taxant de bobo. Mais bon. Elle fait siffler les journalistes, B.H. Lévy, Ch. Taubira et les électeurs répondent en chorus : «la crasse». Mais elle est pas responsable. OK ! Ils disent ça, oui. J’ai assisté à un meeting, c’était ça. Et elle les chauffait à mort. Je l’avais écrit, je l’avais raconté. Ça ne sert à rien d’écrire des chroniques, d’ailleurs je vais arrêter. En ce moment, il y a une seule chose de bien : chacun montre son vrai visage. Celui-ci comprend les terroristes, celui-là comprend le vote Front national, tel autre propose qu’on boycotte Israël, que les artistes refusent d’y donner des concerts. Mais on voit les vrais visages au moins, c’est ça qui est bien. Même dans un journal de gauche, les fréquentations deviennent mauvaises. Il y a toujours un encadré ou un bout de colonne qui se pose la question du deux poids deux mesures par exemple. A chaque fois que j’ai écrit dans un journal, je l’ai regretté. La plupart des chroniques, je les regrette. Elles me paraissent ridicules quand le temps est passé. J’avais écrit la honte que j’éprouvais quand Ch. Taubira a été comparée, je ne sais plus où mais en France, à un singe mangeant une banane, je le ferais plus aujourd’hui. J’y croirais plus. Et on m’accuserait de ne pas comprendre l’exaspération des gens, leurs débordements.
Le coup de grâce, ç’a été Mossoul. La destruction des statues par des gens qui s’en estiment donc propriétaires. Il n’y a même plus de vieilles pierres. Il n’y a plus que des images de mecs, mais il faut pas dire qu’ils sont barbus, de mecs avec des haches qui tapent sur des statues. Et quand la matière résiste, avec des marteaux-piqueurs. Les nazis eux-mêmes s’étaient retenu de détruire Paris. Même écrire ça, ça m’épuise, ça me démoralise. Je ne sais pas comment fait Laurent Joffrin pour écrire des éditos tous les matins. Et comment ont fait tous ceux qui à longueur d’articles se sont demandé si DSK pouvait ignorer que les femmes du Carlton étaient des prostituées. Bien sûr qu’il pouvait. Qui regarde qui ? Qui écoute qui ?
Cette chronique est assurée en alternance par Olivier Adam, Christine Angot, Thomas Clerc et Marie Darrieussecq.