C’était dans les années soixante-dix, autant dire qu’une éternité de modernité s’est écoulée depuis.
Avec les amis, nous nous retrouvions au café du village le dimanche vers onze heures avant le déjeuner familial pour refaire la soirée en boite de nuit de la veille et accessoirement déguster délicatement une tomate ou un perroquet (à l’anis). Nous retrouvions « les vieux » assis à table sirotant leurs verres de vin rouge six étoiles en jouant à la belotte et d’autres, au comptoir devant un café ou une pression, qui parcouraient les articules de la République du Centre en les commentant parfois bruyamment. Tout le monde s’en mêlait, donnait son avis se parlait dans une ambiance bon enfant, qui tournait parfois vinaigre selon le degré d’alcool des uns et des autres. Le patron et sa serveuse connaissaient tout le monde et avaient toujours une anecdote à nous faire découvrir, véritable nid à ragots collectés de-ci de-là.
C’est dans ce café que nous avions préparé la brocante organisée pour revitaliser le bourg qui s’endormait sur son histoire, essentiellement basée sur une église dont le porche était classé aux monuments historiques. Le clou du spectacle devait être un défilé de majorettes de tous les jeunes, filles et garçons, en jupe à froufrou, accompagné par quelques musiciens un peu défraichi, mais toujours plein d’entrain. Il avait fait beau en ce mois de juin et de nombreuses personnes des alentours étaient venues (même des journalistes, d’où une photo compromettante que je me garde bien de diffuser à la légère). Si ce premier essai avait été bien transformé, il avait dû consommer trop d’énergie, car il n’a jamais été suivi d’une nouvelle édition, peut-être aussi parce que les jeunes en question avaient juré qu’on ne les y rependrait plus.
L’année suivante, le café fermait, faute de repreneur (et de rentabilité, boire ce que l’on devrait vendre n’aidant pas).
Avec les amis, nous nous sommes rabattus sur le seul café toujours ouvert dans les environs à cinq bons kilomètres de là (à vélo quel que soit la météo). Comme il n’y avait pas encore de portables et que téléphoner chez les parents n’était pas forcément une bonne solution, nous avions convenu tacitement de nous y retrouver les samedis après-midi pour préparer la soirée à venir, arrivant chacun quand nous pouvions. Il y avait un babyfoot que l’on ne payait qu’une fois de temps en temps et nous savions profiter (sans excès) des bienfaits de la licence IV. Il n’y avait pas la télévision, pas de drogue, pas de gilet jaune et reconnaissons-le, assez peu d’étrangers qui étaient de toute façon mal vus dans le « pays » (encore que, en tant que fils d’immigré, j’étais en quelque sorte moi-même un étranger, mais bon, un étranger pas si étrange). Nous vivions entre nous dans « notre » café, fumant des Marlboro, parlant de tout et de rien, jouant aux cartes, défaisant le monde.
Et puis, le temps a passé. Les « vieux » sont morts, nous sommes
partis au travail, la jeune génération n’allait plus au café. Le monde avait
changé.
Mais la vie est un éternel recommencement 🙂
Le groupe d’économie sociale et solidaire SOS vient de lancer une initiative soutenue par le gouvernement dans le cadre de l’« agenda rural » pour créer ou reprendre mille cafés dans des villes ou villages de moins de trois mille cinq cents habitants afin de répondre au « sentiment d’abandon », « de délaissement » de certains territoires. Je ne sais pas ce que cela donnera pour les bourgades de moins de trois cents habitants.
Chaque café, dont le salaire du gérant serait pris en charge en grande partie par le groupe SOS et la cité concernée, en plus de l’alcool, pourra proposer un panel de services de proximité : dépôt de pain, épicerie, relais de poste, accès au numérique, services de mobilité.
La levée des freins réglementaires sur l’attribution de ces fameuses licences dont le nombre actuel est limité (et qui sont transférables au sein d’une même région ce qui encourage fortement la spéculation) devrait bien y contribuer. Elles seraient non exportables en dehors de la commune et donc nettement moins onéreuses.
Il serait bien de l’organiser en fonction des cibles qui pourraient le fréquenter … espace de dialogues et de support pour les anciens le matin, zone de casse-croute pour ouvriers les midi, endroit avec jeux pour enfants et salon de thé pour parents l’après-midi (après tout, il n’y a pas que les mères qui pourraient en profiter, les pères aussi !), comptoir d’apéro après le boulot et diner jeux spectacle karaoké le soir. Par exemple, bien sûr …
Les populations pourront à nouveau se réunir dans un endroit sec (en dehors des breuvages) et convivial pour échanger, discuter, s’engueuler (et se torcher en groupe au lieu de le faire tristement tout seul dans son coin). Intéressant de voir si les habitudes (restons chez soi pour regarder l’écran de télévision) changeront.
Et nous pourrons alors encore faire la tournée des chapelles !
PS : croisons cela avec quelques autres initiatives …
1 ) La solidarité
Quand vous vous payez un café ou un sandwich et que vous en avez les moyens, vous payez deux fois le prix prévu. Ensuite, vous allez mettre une croix sur le tableau réservé à cet usage en face de la bonne case (ce que vous avez consommé). Si vous insistez vous pouvez ajouter votre nom pour montrer que vous êtes un généreux donateur, mais ce n’est pas essentiel.
Quand quelqu’un qui n’a pas vos moyens veut boire un café ou manger un sandwich (à éviter pour toutes les drogues : boissons alcoolisées, tabac, …), il commande et va, une fois servi, effacer une croix sur le tableau. Il peut aussi mettre son nom en tant qu’affreux profiteur démuni mais ce n’est pas essentiel non plus.
Simple et efficace.
2 ) Une nouvelle méthode pour payer
Aujourd’hui, les applications utilisent sans vergogne vos données personnelles pour se faire de l’argent. Waze enregistre vos trajets et revend les informations aux commerçants. Facebook est capable de faire des filtres sur vos passions, vos lieux préférés et commercialise des actions marketing dites à « haut rendement ».
Pourquoi ne pas vendre vos données (et photos, vidéos, …) personnelles en consommant dans un café ? Vous allez sur l’ordinateur mis à votre disposition et vous cliquez sur « vendre ». Reste à cocher ce que vous voulez. Le café vous offre alors votre consommation, étant rémunéré par les acheteurs de vos « secrets numériques ». Charge aux acheteurs d’interdire aux autres gavés (pardon, gafa) de les utiliser gratuitement 🙂