Meril voulait à tout prix manger cette glace. La photo qu’elle avait vue sur la pancarte du marchand en passant sur le trottoir l’avait plus que perturbée. Comme si elle était encore une enfant, alors qu’elle approchait de la quarantaine, son caprice l’envahissait, submergeant ses pensées. Elle se voyait pourtant comme une personne raisonnable.
Elle continua à avancer pour rattraper Simon, son mari, et Mika, son fils, mais son cerveau refusait de passer à autre chose. Après un choc sans gravité avec un passant, elle se prit les pieds dans la laisse d’un chien et s’étala de tout son long. Elle ne se fit pas trop mal, juste des égratignures et une blessure d’amour propre liée à la remontée de sa jupe dévoilant des parties d’elle-même qu’elle aurait préféré garder cachées aux yeux des autres.
En se relevant, elle aperçut au loin Simon et Mika arrêtés pour prendre une photo d’ensemble de la cathédrale qu’ils avaient prévu de visiter. Ils ne faisaient pas attention à elle, se disant surement qu’elle finirait bien par les rattraper.
La tentation était trop forte, elle décida de revenir vers le glacier. Le gout sucré, enrobé d’un froid revigorant, se répandait déjà dans sa bouche et sa gorge.
Une image, à peine perçue du coin de l’œil, attira son attention alors qu’elle allait arriver au vendeur de glace et achever sa quête triomphante. Une écharpe bleu nuit se languissait sur un mannequin rose dans une vitrine. Elle venait le cajoler comme un python sur sa proie. La texture semblait chaude et soyeuse.
Meril n’en oublia pas son obsession primaire, mais se dit que l’essayer ne pourrait pas lui faire de mal et que cela irait vite de toute façon, cinq minutes au pire.
Elle entra dans le magasin, s’empara du merveilleux bout de tissu et s’enquit d’une glace pour voir son image avec. Son teint pâle serait sans doute mis en valeur et elle aurait une protection contre la petite brise fraiche qui parcourait les rues.
Elle se retrouva dans la cabine d’essayage, seul endroit qu’elle avait trouvé pour se regarder. Il s’y trouvait déjà une jolie robe bleu vert-pastel, échancrée, mais trop, courte sans être indécente. Emportée par son élan, elle la passa.
Une minute plus tard, elle était face au miroir, dans sa robe d’été avec son écharpe autour du coup, faisant les petites mimiques du rituel qu’elle avait répété depuis bien longtemps pour tout achat d’un vêtement. Sa poitrine se plaçait bien, ses hanches trouvaient naturellement leur place et ses fesses étaient bien mises en valeur. Quel bonheur, son cœur battait la chamade. Elle était euphorique.
La dame qui ouvrit le rideau d’un coup sec la regarda d’un air sévère. Elle lui dit quelque chose qu’elle ne comprit pas du tout. C’est le problème à l’étranger lorsque l’on ne parle pas la langue. Elle fit un signe à deux hommes de venir vers elles.
Sans ménagement, ils attrapèrent Meril et l’emportèrent vers l’arrière-boutique. Trop surprise, et l’esprit toujours encombré par la glace de la pancarte, elle n’eut aucune réaction.
Elle se retrouva assise sur une chaise dans un local éclairé par une ampoule qui grésillait face aux deux brutes lui criant dessus. Elle ne comprenait pas un traitre mot de leur discours, mais il paraissait évident qu’ils n’étaient pas contents du tout.
Elle commença à s’inquiéter quand l’un des deux lui attacha les mains et les pieds avec une corde. Son sac à main dans lequel était son téléphone portable était resté dans la cabine avec les habits qu’elle portait.
L’homme s’essaya à un anglais approximatif déformé par son accent. « Not to you » « bad » « tourist ».
Elle en déduisit qu’ils pensaient qu’elle avait volé quelque chose. L’écharpe ? La robe ?
• « I will pay » répondit-elle dans le doute. « No problem ».
L’un des deux hommes lui dit ce qui ressemblait à « Wait » et il sortit de la pièce. L’autre s’assit sur une chaise en face d’elle et commença à tapoter sur son téléphone.
Se rappelant les films d’action qu’elle avait vus, elle se dit qu’en se penchant, elle pourrait se faire tomber de la chaise, puis en récupérant un des morceaux en donner un grand coup sur la tête de la brute. Après quelques contorsions, il ne lui resterait plus qu’à se détacher puis à s’enfuir par une fenêtre.
Mais, elle n’était pas une super héroïne et le scénario lui semblait tirer par les cheveux. Au loin, elle entendit la sonnerie de son téléphone. Surement Simon qui essayait de la joindre pour savoir où elle était. Personne ne décrocha. Ses reins étaient tétanisés. Sa vessie se rappelait douloureusement à elle. La peur commençait à faire son chemin.
Après un temps indéterminé, mais surement assez proche d’une demi-heure, la brute qui était partie revint avec une femme. C’était rassurant, les personnes du sexe féminin étaient moins portées sur la torture, même si cela traduisait une pensée sexiste : les femmes sont toutes douces alors que les hommes sont tous bagarreurs. Meril n’était plus très claire dans sa tête de toute façon. Entre la glace, l’écharpe et les nœuds, elle ne savait plus quoi penser.
La femme lui dit : « Why have you taken the scarf ? »
Elle lui répondit : « I just wanted to try it, to see if it suit me ».
• Why have you taken the dress ?
• I saw it in the fitting room and i thought : why not try it ?
• Why don’t you tell somebody in the shop ?
• I’ve not think about it. I just wanted to try and go to buy my icecream.
• Do you have an idea of the price of the scarf and the dress ?
• No. Expensive ?
La conversation lui semblait complètement irréelle. Qu’elle était le problème d’avoir essayé une écharpe somme toute assez banale et une robe finalement assez quelconque ? Pourquoi l’avoir attachée sur une chaise pour cela ? Elle hésitait entre pleurer toutes les larmes de son corps en hurlant à l’aide ou éclater de rire tant cette situation lui semblait absurde.
• Ten thousand
• Ten thousant euro ? You’re kidding ?
• No.
Il y avait un diamant caché dans un pli de la robe et des lignes d’or pur dans l’écharpe ? En même temps, elle n’était pas vraiment en situation de négocier.
• I pay. No problem.
La femme sortit alors qu’un des hommes détacha les mains de Meril. Elle revint rapidement avec son sac à main et un terminal de paiement. Elle lui tendit la machine avec sa carte bleue à l’intérieur.
• Do the code
Elle regarda le montant. C’était bien un un suivi de quatre zéros. Elle prit une grande respiration, et saisi son code.
Ce qui pouvait passer pour un sourire se dessina sur le visage de la femme. Une des brutes lui remit un sac avec ses affaires et l’autre l’accompagna, fermement tenue, vers la sortie du magasin après lui avoir détaché les pieds. Il referma à clef la porte derrière elle.
Elle était de nouveau sur le trottoir dans une robe un peu légère pour la saison avec une écharpe autour du cou. Elle hésita sur l’action suivante : appeler son mari pour lui dire de venir et à eux deux se venger de ses salauds ; crier au secours pour qu’un policier arrive ; faire pipi par terre et se rouler dedans ; rester là et attendre ; aller acheter la glace.
Elle se retourna pour regarder le magasin. Entre temps, les volets de fer étaient tombés sur la vitrine et la porte. Même si la colère lui tordait les boyaux et que son foie la poussait à taper dessus, elle se dirigea vers le glacier d’un pas incertain, toujours sous le choc.
Le coffre isotherme qui renfermait le trésor qu’elle convoitait était fermé à double tour, attaché par une chaine à un lampadaire. Il n’y avait plus personne. Elle le contempla béatement, immobile. Ce n’était pas possible, pas acceptable. Après le stress qu’elle avait vécu, la frustration était trop forte. Sa tension passa de quinze à vingt pour retomber brutalement à six. Son corps, que son cerveau était incapable de maitriser, avait besoin d’une pause. Elle s’effondra sur le trottoir, masse bleu vert inerte.
Elle reprit conscience quelques instants plus tard. L’obsession était au maximum, gonflée par la frustration, le sentiment de s’être fait avoir et la peur qu’elle avait vécue. Elle repéra à portée de main une barre de fer que quelqu’un avait abandonné dans un tas de détritus.
La cervelle totalement embuée, elle banda ses muscles et explosa les cadenas en quatre coups bien placés. Après avoir soulevé le couvercle, elle plongea dans le coffre à la recherche de son Graal qu’elle finit par trouver.
Fière comme Artaban, elle brandit son trophée vers le ciel et poussa un cri suraigu de bête enfin satisfaite. Personne n’osa intervenir. Son regard de fauve fou furieux aurait fait peur même au plus courageux.
En léchant avidement sa glace si chèrement acquise, elle se dirigea vers la cathédrale pour retrouver son mari et son fils.
Références :
• Raison, déraison = «Inner Workings» de Leonardo Matsuda (2016)
• http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1425299-le-ventre-notre-deuxieme-cerveau-non-le-systeme-nerveux-central-est-le-maitre-absolu.html
• https://www.sain-et-naturel.com/organes-sont-lies-aux-emotions.html
• https://amelioretasante.com/organes-corps-lies-aux-emotions/
• http://www.passeportsante.net/fr/Therapies/MedecineChinoise/causes_internes.aspx
• http://www.huffingtonpost.fr/antoine-pelissolo/ventre-deuxieme-cerveau-moi_b_11830230.html
• http://www.lemonde.fr/biologie/article/2014/09/29/l-estomac-ce-deuxieme-cerveau_4496487_1650740.html
Médecine traditionnelle chinoise
• Joie (Xi) liée au Cœur
• Colère (Nu) associée au Foie
• Rate liée aux soucis (Si)
• Poumon avec la tristesse (You).
• Les reins sont associés à la peur (Kong).
Les parois du système digestif constituent une interface essentielle entre le dedans et le dehors, avec un rôle de filtre décisif contre différentes agressions pouvant perturber l’ensemble de l’organisme, dont à nouveau le cerveau.
Il est aidé en cela par une flore intestinale imposante, qui contient plus de bactéries que le corps comporte de cellules humaines, dont on sait maintenant qu’elle intervient grandement dans de nombreuses fonctions vitales du corps, système nerveux compris.
À l’instar du moi-peau, il existe un moi-ventre, reflet à la fois de notre identité et de notre vie émotionnelle. On peut se représenter le système digestif comme une gigantesque peau internalisée, qui partage d’ailleurs beaucoup de similarités embryonnaires avec le revêtement cutané (épithélium), mais avec une surface de contact beaucoup plus étendue et une fonctionnalité beaucoup plus riche et complexe.
Certes, quelque deux cents millions de neurones composent le système nerveux entérique, mais, en termes de densité, ce ratio n’est pas très différent d’autres régions très innervées dans notre corps.
Notre ventre semble nous parler en permanence, parfois même bien plus que notre cerveau. Il faut dire que sans ses appels du pied, nous serions capables de nous laisser mourir de faim.
Notre cerveau contrôle involontairement nos organes par le système nerveux autonome. Nous n’avons absolument aucun contrôle sur les gargouillements de notre ventre ou la manière que notre foie a de traiter ce que nous mangeons ou buvons au cours de la journée. Le système nerveux autonome permet à nos organes de fonctionner en autonomie 24h/24 sans que nous ayons à nous soucier de leur sort.
Les informations reçues par le système nerveux central via le système autonome, convergent notamment au niveau d’un centre intégrateur, le noyau du tractus solitaire. Ce système donne bien au cerveau ce rôle d’unique chef d’orchestre de tout notre métabolisme.